minuit sonné par l’église, douzième coup. la chambre éclairée par la douce lumière de la lune et qui vient lui chatouiller les yeux ; maïa jusqu’à présent endormie. les pupilles encore protégées par ses paupières, aveuglées par le halo lunaire, doucement s’y habituent à la puissance. ses doigts qui glissent sur son bras ; la peau glacée, et pour cause la fenêtre entre ouverte par cet hiver glacial. le bras douloureux ; elle en cherche la provenance. sa peau teintée d’une couleur bleutée ; un hématome. aucunes autres questions, ses yeux qui se referment doucement, elle se rendort. la nuit suivante, douzième coup après minuit ; la fenêtre au préalable fermée par sa serrure qui s’ouvre brutalement, encore. le bruit du vent qui souffle dans ses tentures, l’entrechoc de la poigné de la fenêtre contre le mur qui retenti dans la pièce ; maïa se réveille, se redresse. marche jusqu’à sa fenêtre, la referme, incompréhension. ce soir, la cuisse douloureuse, deuxième hématome. schéma répété toute les nuits, et des hématomes supplémentaire. ses parents qui prennent peur et elle sa curiosité piquée ; qu’est-ce qui lui fait tout ce mal ?

une énième nuit comme les autres, maïa elle est habituée. les douze coups habituels, et la fenêtre qui s’ouvre, un nouvel hématome ancré sur sa peau de fillette de huit ans. c’en devient un rituel, mais cette fois diffère ; une ombre, une fumée noire, dans un coin de sa chambre. ses yeux qui cherche à distinguer cette forme abstraite de la réalité ; tâche bien difficile en cette nuit noire, l’absence de lune. des salutations lancées au travers de la pièce de la part de l’étrange nuage noir, perçues par les oreilles de la petite, bien loin de s’imaginer qu’elle soit la seule à pouvoir les entendre. aucune peur dans ses yeux, elle lui répond. encore et encore ; à en parler toute la nuit, il lui contera toute sa vie jusqu’à ce que le sommeil ne la regagne. et le lendemain, sa rencontre racontée à toute la famille, elle s’en vente fièrement auprès de sa sœur, de son frère, de ses parents. ceux-ci qui la dévisage ; n’était-il pas trop tard pour un ami imaginaire ?

les jours passent et les nouvelles rencontres se suivent et augmentent ; les années passent et maïa affirme que tous ses amis sont des âmes errantes de défunts, ces personnes coincées entre les deux mondes, ceux qu’on ne voit pas mais qui sont bien là. ceux avec lesquels on communique par spiritisme, maïa les voit presque de chair et d’os. ses parents inquiets, et chaque nuit son frère et sa sœur qui se réveillent avec des hématomes ; maltraités par cette brume noire qui suit maïa depuis trois ans déjà ; ils ne se quittent plus. la petite qui en tire un sentiment amicale, il n’en est pas le cas de l’autre qui la voit comme la clé de ses projets ; loin d’être un simple mort perdu entre la terre et les cieux, il est démon, non pas le plus puissant mais l’un des plus sournois, des plus mal attentionné. profitant de l’innocence de la gamine qui la mènera une enveloppe corporelle parfaite.

les murs blancs immaculés qui reflètent la lumière du soleil, qui éclaire la pièce. décoration minimalistes, et des fleurs un peu partout ; une bibliothèque aux livres colorés, et une maison de poupée, des petites voitures aussi. condamnée sur ce divan inconfortable, l’odeur nauséabonde qui lui irrite le nez : des encens apparemment. cette pièce où les heures sont longues, éprouvantes, horribles. des pluies, des torrents de questions, maïa qui ne les supporte plus, parfois elle n’y répond même pas. parfois, elle ne regarde pas la dame, et même parfois elle lui dit qu’elle veut rentrer chez elle et discuter avec son ami. parce que d’après maïa, les dire de ce dernier sont bien plus intéressants que les questions ennuyeuses de la dame. des questions et des questions qui lui sont posées par la psychologue, « oui, je parle aux morts » qu’elle lui répond encore et encore.

la sombre impression d’être différente, cette barrière invisible entre elle et les siens, sa famille propre. ce ravin grandissant à mesure que les années passent, et cette écorchure au cœur plus profonde d’année en année ; le cœur déchiré au final. l’obscur sentiment de ne pas appartenir au même monde, et ce mal être qu’elle emporte avec elle depuis tant d’années, c’est qu’ils avancent main dans la main. elle est prise pour une folle, maïa, elle et son discours toujours le même depuis qu’elle a huit ans. jamais personne qui ne la croit, sauf peut-être un. garçon du voisinage, il est le seul qui ne prend pas peur d’elle, du moins à moitié. c’est qu’elle lui faisait mal au cœur, à rester toujours toute seule. cette gamine aux cernes bleus, au sourire narquois. les nuits blanches accumulées, les heures à discuter. seule aux yeux des autres, avec un ami au travers des siens. ces discussions tardives avec cette étrange brume funèbres, tous les soirs elle attend sa venue, et ces frissons qui lui parcourent l’échine à chaque fois qu’il entre. sentiments ambigües, et pourtant si intense. son ami du monde des morts, son ami du monde des vivants.

aujourd’hui rien de très différent de l’époque, toujours cette aura sombre qui la baigne, toujours ces messes basses lorsqu’elle traverse les couloirs de l’université, mais c’est toujours la tête haute qu’elle avance. et au bout du dit couloir, un franc sourire qui nait sur ses lèvres fines. elle les retrouve, les deux piliers de sa vie. son ami des vivants, son ami des morts, à présent ne partageant qu’un seul corps.