Il était une fois cinq petits poissons qui nageaient dans l’eau. Le plus vieux s’appelait Met, le second Korn, le troisième Tee, le quatrième Menn et le petit dernier Love. Ce dernier peinait à suivre ses frères à travers les algues et les rochers, se heurtant à plus d’un poisson dans sa course. Jusqu’à finalement les perdre de vue. Il se mettait alors à pleurer mais pas longtemps, car Menn venait toujours le récupérer. C’était celui avec qui Love était le plus proche. Il n’avait qu’un an d’écart, pour les sirènes ce n’était rien du tout vu leur espérance de vie.

Love était donc le petit dernier d’une fratrie de frères aux caractères différents mais bien trempés tandis que lui n’était que fragilité, du haut de ses 5 ans. Bientôt l’aîné allait être envoyé sur Terre, comme il était coutume de le faire depuis aussi longtemps que le petit poisson pouvait se souvenir. Lui aussi un jour il aurait des jambes à la place de sa queue. Ainsi on ne se moquera plus de la couleur de ses écailles qui était roses et blanches dans un parfait dégradés. Il n’y avait que les sirènes pour dire qu’il avait une jolie couleur. Love avait donc hâte d’avoir 15 ans, curieux de savoir comment c’était là-haut. Entre temps, il était interdit de s’approcher du rivage à cause des Chasseurs. D’après le sage qui savait tout c’était des humains sans pitié qui n’hésitaient pas à tuer les créatures. Pas vraiment très rassurant. Alors à la place, pour les préparer à leur venu sur le sol terrestre, on apprenait aux enfants demi-poissons ce qu’il y avait à savoir sur la vie humaine. Ca allait des toilettes jusqu’à savoir manger avec une fourchette. Les humains étaient dégoûtants alors ils jetaient pleins de choses à la mer, ce qui permettait de faire des travaux pratiques. Ce n’était par contre pas possible de faire du vélo sous l’eau et encore moins sans des pieds.

5 ans était passé, et ils n’étaient plus que 3 petits poissons. Si Tee ne cessait d’embêter le cadet, heureusement il y avait toujours Menn pour le défendre. Love ne disait rien, préférant ignorer que de jouer le jeu. Il trouvait beaucoup plus intéressant de se regarder pendant des heures dans ce qui s’appelait un miroir à admirer des bijoux qui brillaient. Il l’avait trouvé par hasard alors qu’il était parti se promener avec son poisson clown de compagnie. Il l’avait appelé Wemo et il avait l’impression que son ami comprenait ce qui lui racontait. Mais c’était surement juste son imagination.

- C’est pas l’heure de ton cours de chant Love ?

L’interpellé fut sortie de sa contemplation et regarda l’huître qui allait bientôt se fermer. Il allait être en retard s’il ne se dépêchait pas. Mais d’un autre côté c’était fatiguant d’agiter ses nageoires. En plus ça ne servait à rien ce cours, ce n’était pas comme si il comptait enchanter quelqu’un avec sa voix. Il y avait certes des groupes de sirènes maléfiques qui s’en servaient pour attirer des humains au fond de l’eau, mais ce n’était pas le cas du leur. Ils étaient même pacifiques, prônant l’évitement des ennuis et la fuite plutôt que la confrontation. Ce qui allait parfaitement à Love, qui avait fini par quitter son coquillage pour nager jusqu’à la salle de chant. Son professeur lui avait dit qu’il avait reçu de sa mère, sa belle voix – et aussi son teint pâle. La pauvre sirène s’était fait blesser gravement par l’un de ces cruels chasseurs alors qu’elle était enceinte de Love. Elle avait réussi à plonger dans l’eau et à pondre son œuf dans une atroce souffrance avant de rendre l’âme et de rejoindre l’écume de la mer. Love n’avait donc de sa mère que des paroles à son sujet, il ne savait pas du tout à quoi elle ressemblait. Son père était très protecteur avec lui et lui avait même interdit de passer la barrière des rochers en forme de tortue. Et l’inquiétude pour son fils une fois là-haut. Saura t-il se débrouiller ? Et s’il tombait sur un chasseur ? Tant de peur chez un père qui ne pouvait s’empêcher d’être nostalgique lorsqu’il posait ses yeux sur son fils cadet. C’était le portrait craché de sa mère et il n’avait pu, hélas, emmener une photo d’elle avec lui lorsqu’il était retourné pour toujours dans l’océan après la mort de sa femme.

3 ans était encore passé, et il n’y avait plus que deux petits poissons. A son tour Menn allait aussi rejoindre la surface. Il savait déjà ce qu’il ferait une fois là bas contrairement à Love qui avait beau réfléchir il ne voyait pas quoi faire comme « travail ». Dans l’océan il passait ses journées à nager ou à jouer avec Wemo. Peut être pourrait il aller là où il y avait ces bijoux brillants. C’était tellement joli. Ces doigts étaient bariolés de bagues et son cou de collier. Il n’avait pas encore trouvé quoi faire avec les boucles d’oreilles alors il les avait accrochés à une feuille d’algues. De toute façon, ce qui comptait pour le jeune triton c’était de retrouver son frère. Un an sans lui, ça allait être long. Qui allait le réveiller pour aller se rendre en cours ? Lui préparer des œufs de poissons pour le déjeuner ? Love ne voyait pas comment il allait faire, et pourtant il n’avait pas le choix. Les jours étaient passés à la vitesse de l’éclair et l’heure de la séparation avait sonné. C’était un Love en larme qui regardait son grand frère nager jusqu’à la surface après avoir reçu sa nouvelle identité et les recommandations. Eviter les chasseurs et les harpies. Ils s’étaient promis de se retrouver une fois que Love aurait l’âge pour passer lui aussi sur la terre ferme.

15 ans, et un Love tout excité s’était levé tôt pour une fois. Impatient d’avoir son entrevue avec le patriarche tandis que son père ne cessait de lui dire pour la millième fois d’être prudent, de ne pas faire de bêtise et d’éviter à tout prix de se faire mouiller. L’adolescent ne l’écoutait que d’une oreille et se rua vers la salle du trône une fois que son prénom avait résonné. Il allait pouvoir retrouver Menn. Ce dernier lui avait donné une bouteille avec un papier à l’intérieur concernant l’adresse de son nouveau toit. Il faudrait aussi qu’il passe quand même saluer ses autres frangins.

20 ans, assis à la table d’un café en train de déguster une part de gâteau à la fraise. Love alias Min Ki, s’était bien habitué à la vie humaine et ses petits plaisirs culinaires. Fan de sucres, le triton ne disait jamais non à une pâtisserie. Il avait même trouvé un emploi de vendeur dans une bijouterie, ayant réussi à charmer la propriétaire malgré son CV quelques peu vide. Elle n’avait cela dit pas eu tort de l’embaucher vu la vigueur avec laquelle Min Ki parlait des bijoux proposés. Le chiffre d’affaire avait même augmenté pour son plus grand plaisir. Il était fier, et avec son salaire il pouvait ainsi se gaver de sucreries et partager le loyer avec son frère. Sa gourmandise était cela dit assez énorme pour ne pas avoir attendu que son rendez-vous arrive pour commencer son gâteau. Cela faisait quelques semaines qu’il discutait avec un homme sur internet et finalement, ils avaient fini par vouloir se rencontrer. Min Ki était impatient de le voir enfin en vrai. S’il avait su, il aurait écouté Menn mais il n’en avait fait qu’à sa tête.

Un dîner de famille qui avait dérapé. Min Ki avait invité son ami pour le présenter à ses frères comme le faisait les humains. Malgré son caractère social, le triton peinait à se faire des relations avec les autres. Peut être était ce à cause de son look extravagant. Il avait teint ses cheveux en blonds et portait toujours une myriade de bijoux et même des petites boucles d’oreilles ce qui n’arrangeait pas sa virilité et les moqueries de ses frères plus âgés. Ce n’était pas pour autant qu’il avait souhaité leur mort. La nuit était tombée sur Séoul et deux poissons couraient le plus vite possible en direction du fleuve, essayant de ravaler leur larme. Si Menn y arrivait, ce n’était pas le cas de Love. Il se sentait trahis au plus profond de son être. Son ami n’était rien d’autre qu’un chasseur, un chasseur qui avait tué sa famille. Les deux faisaient mal, atrocement et il était aussi terrorisé, n’osant pas se retourner pour savoir si l’humain les suivaient toujours ou non. La course n’était pas son fort, et il était épuisé. Lever les genoux était un véritable calvaire et il avait finit par dérailler. Love s’était écrasé comme une crêpe sur le sol, s’égratignant le corps.

- Love !

L’ainé était revenu sur ses pas en voyant que son petit frère ne le suivait plus. Ce dernier se mordait les lèvres pour ne pas pleurer.

- Laisse moi…ici…
- Qu’est ce que tu racontes ? Le fleuve n’est plus très loin

Effectivement, il n’était plus qu’à quelques mètre mais ça semblait des kilomètres aux yeux de Love. Il n’avait même pas la force de se relever. Menn l’aida à le faire, tandis qu’une ombre s’approchait de plus en plus. Cruelle et terrifiante. Le bruit avait déchiré le silence de la nuit.

- Menn !!

Ses yeux s’étaient écarquillés d’effroi tandis que son frère tombait inerte sur le sol. Il ne restait que lui, il n’y en avait plus qu’un. Son regard s’était tourné vers le chasseur qui jubilait d’avance de sa victoire. Love n’arrivait même pas à avoir peur.

Chante Love, chante.

Il entendait des voix lui murmurer à l’oreille. L’encourager. Alors Love avait ouvert la bouche et s’était mis à chanter. Sa belle voix s’était élevée sur cette scène tragique. Le chasseur captivé, avait baissé son arme, s’approchant du triton qui lui faisait à présent face.

Tue le Love, tue le

Sa main s’était glissée dans celle du chasseur pour lui prendre son arme. On lui disait de le noyer. Mais ici ce n’était pas sa maison. Love continuait de chanter, et même lorsque le corps de l’humain s’était effondré sur le bitume dans une mare de sang, il n’avait pas cessé. Il jeta le flingue dans la rivière, laissant ses amis aquatiques nettoyer l’arme du crime avant de finalement enfin tomber à genoux pour éclater en sanglot.
2435, la vie n’avait pas changé. Toujours le même appartement, toujours le même boulot. Les sourires sincères avaient laissé place à des sourires faux. Min Ki avait laissé tombé Love tout au fond de son être. Quitter les sites de rencontre et se renfermant sur lui-même. Ses cheveux blonds étaient devenus gris comme son âme. L’innocence perdu qui perlait sur ses lèvres quand il regardait Wemo tourner en rond dans son aquarium. C’était le seul qui l’accueillait quand il était de retour à l’appartement. Ce n’était que le soir, que Min Ki se laissait aller à quelques fantaisies. Soulignant ses yeux d’eye-liner et mettant les bijoux qu’il aimait tant. Il n’y en avait qu’un seul qu’il ne retirait jamais : une bague que Menn lui avait offert où était gravé à l’intérieur son vrai nom. Il avait pleuré sa peine pendant longtemps près du fleuve, dans des chansons tristes et déprimantes. Un humain l’avait alors alpagué, touché par la tristesse du triton. C’était ainsi que Min Ki s’était vu monter sur une scène dans un bar, face à un micro et des visages inconnus qui le fixaient.

Chante Love, chante.