La journée était belle. Hyun Su ne pouvait observer le ciel teinté de nuances de bleus et les nuages blancs cotonneux au travers de la vitre de sa chambre, mais il pouvait sentir le soleil réchauffé sa peau. Il pouvait ressentir la ville s’éveiller doucement. Mais Hyun Su, lui, il contrastait avec cette légère atmosphère. Dès lors qu’il s’était extirpé de son sommeil sans rêves, il n’avait pas pris la peine de quitter son lit. Il était incapable de se lever, comme bien des matinées.

Le cœur n’y était pas. Il avait encore pleuré hier. Il avait pleuré son existence, son infirmité. C’était presque devenu une habitude pour lui.

Soudain, quelque chose vint lui effleurer la main puis le visage. Instinctivement, ses doigts vinrent se perdre dans le pelage de son chien et un fin sourire se dessina sur son visage. Ce petit être parvenait à panser quelque peu ses maux de par sa simple présence. « Tu veux sortir c’est ça ? » C’était certainement une conclusion envisageable. Ou peut-être souhaitait-il simplement que son maître s’extirpe de son lit… A cette pensée, probablement irréaliste, le sourire de Hyun Su s’intensifia légèrement.

Les minutes s’étaient écoulées et le jeune coréen, accompagné de son compagnon à quatre pattes, venait de quitter le domicile familial. Confiant envers son animal, il se laissa guider par son animal habité à parcourir les chemins du quartier. Il essaya de profiter de ces futurs instants pour ne plus se morfondre, pour se concentrer sur ses autres sens.

Mais alors qu’ils venaient tous deux de parcourir quelques mètres, un grognement résonna dans l’air. Tous ses muscles s’étaient raidis, son cœur pulsait contre sa poitrine. Sa respiration devint chaotique, presque pénible. Il tentait de savoir d’où provenait le bruit inconnu. En vain. Et soudain, la laisse lui échappa des mains. Son chien venait de fuir sans qu’il ne puisse le retenir, tandis que de nouveau un grognement se fit entendre. Il ne comprenait plus rien. Et sans prévenir, les larmes lui montèrent directement aux yeux. Lui qui avait tant peur de sortir à l’extérieur, privé de sa vue, il venait de perdre l’un de ses piliers, l’un de ceux qui compensait son aveuglement.

Les larmes dévalèrent ses joues. Il plaqua ses mains contre sa bouche, tenta vainement de retenir les cris logés aux bords de ses lèvres. Désormais, ces derniers résonnaient entre les murs du quartier. Sa respiration fut de plus en fut chaotique et secoués par des spasmes incontrôlables. Il se sentait seul, abandonné, alors qu’il n’était probablement pas seul en cet endroit. Mais il avait peur. Il avait perdu son unique repère. « Pitié… je vous en supplie… » C’étaient des mots inaudibles, murmurés. Il ignorait à qui il leur adressait : à l’entité qui avait fait fuir son chien, aux potentiels observateurs de la scène, à sa mère qui ne pouvait certainement pas discerner ses cris… Mais il espérait simplement que quelqu’un les entendent et lui vienne en aide.

Les larmes roulaient sur ses joues, inondaient son visage où s’exprimait désormais la peur, l’incompréhension, l’angoisse. Son corps entier était secoué par des spasmes et de sa gorge s’échappaient des appels au secours. C’était une réaction excessive aux yeux de nombreuses personnes, mais une réaction instinctive pour lui, lui qui était constamment plongé dans l’obscurité, là où les formes et les couleurs n’étaient plus que de lointains souvenirs enfouis dans sa mémoire. Le monde, il ne le voyait plus. Il ne pouvait que l’entendre, le sentir, le goûter, le toucher. Il ne pouvait le parcourir sans aide, sans pilier. Son animal en était un, mais il lui avait échappé des mains.

Et tandis qu’il demeurait immobile au milieu d’une ruelle, les yeux en pleurs, un nouveau grognement résonna autour de lui. Le cœur en suspens, un sentiment de frayeur envahit alors ses veines. En cet instant, il ignorait la nature de l’être qui se tenait non loin de lui. Un homme, un animal, un métamorphe… Les possibilités étaient certes infimes mais bien présentes pour semer le doute dans son esprit. Doute qui se dissipa quelque peu quand une voix humaine retentit. Instinctivement, Hyun Su recula d’un pas, effrayé par l’inconnu qui pourtant semblait aussi craintif au son de sa voix. Mais il était proche, trop proche de lui. Il pouvait ressentir sa chaleur et son souffle lui caresser l’épiderme. Son cœur tambourinait désormais contre sa poitrine, sa respiration lui était douloureuse. Les mots demeuraient bloqués dans sa gorge, alors qu’il avait espérer cette aide à l’instant même où son animal s’était enfui.

Les larmes roulèrent de nouveau sur ses joues avec plus d’intensité quand l’inconnu évoqua son aveuglement et ses pleurs. Parce que cette absence de sens lui causait tous les maux du monde. Et parce qu’il savait pertinemment que pleurer était vain. Mais ces pleurs, ils étaient quotidiens, souvent nocturnes. Il pleurait pour tout, et souvent pour rien. Et cette vérité qui venait se traverser les lèvres de cet inconnu lui comprima tant le cœur qu’il ne remarqua pas qu’il lui tapotait l’épaule, rompant un peu plus la distance qui les séparait. Ses doigts vinrent alors encercler le haut de son crâne, agripper des mèches de cheveux. Il se mordit la lèvre inférieure fermement et tenta de retrouver une respiration sereine, de calmer les quelques spasmes qui le parcouraient encore. Puis d’une voix faible, il rompit le silence qui s’était installé depuis bien trop longtemps. « Vous… vous pouvez vraiment m’aider à… à le retrouver ? » Ce n’était peut-être pas la question la plus pertinente, la plus utile… Mais elle avait le mérite d’exister, car il aurait très bien pu de jamais répondre et continuer de pleurer, au milieu de cette ruelle, aux côtés de cet inconnu qui pourtant semblait vouloir lui venir en aide.